Hanabi
En quelque sorte, le Tour de France est à la France ce que le hanabi (feu d'artifice nippon) est au Japon, c'est sans conteste le plus populaires des plaisirs estivaux. Et puis ici au moins les pyrotechniciens n'ont pas besoin de pot belge pour impressionner les foules. Toujours est-il qu’il me fallait absolument sacrifier à cette coutume locale et je décidai donc de faire l'impossible pour pouvoir contempler un de ces spectacles typiquement japonais. Mais participer à un hanabi (花火fleur+feu, ils sont ty pas poètes ces Nippons?) n’est pas si simple, cela demande efforts, patience et une stratégie adaptée à la foule inimaginable qui se précipite à ce genre d’événement.
Mon premier choix se porta sur Sumidagawa hanabi qui accueille en général un bon million de personnes au bord de la rivière éponyme. Le maitre mot tactique fut alors "anticipation". En effet, arrivé sur les lieux à midi pour un piquenique à l’ombre de cerisiers sans fleur, nous batifolâmes durant les 7h suivantes dans la chaleur étouffante de l’été nippon, admirant au passage les autochtones arborant leur yukata tout neuf. C’est alors que le bruit des premières fusées nous indiqua le moment que nous attendions tous avec une impatience non feinte. Ce n’est qu’à ce moment que se révéla à nous la terrible vérité: autant les arbres offrirent une fraicheur salvatrice durant l’après-midi, autant l’opaque écran de leur feuillage ne fut pas bienvenu une fois la nuit tombée. Du hanabi nous ne purent donc apprécier que les exclamations de nos voisins indigènes semblant apprécier cette grotesque situation et s’extasiant des redondantes détonations.
Mais ce ne fut que partie remise puisque deux semaines plus tard se tenait le célèbre feu d’artifice de la baie de Tokyo, promesse d’un spectacle inégalable: pas un seul arbre, aucun gratte-ciel et une stratégie profondément rénovée.
Arrive 3min avant le début de l’événement, le point de vue était idéal et à moins de 300m du lieu de lancement. Commença alors un spectacle grandiose d’une heure aux frais du contribuable tokyoïte. Bien évidemment un hanabi ne se raconte pas il se vit. C’est une expérience intime, presque spirituelle et en tout cas fort difficile à décrire au commun des mortels. Néanmoins ma prose unique devrait suffire à vous transmettre toute l’émotion du moment. Néanmoins, pour un gain de temps conséquent, je vous conseille vivement les photos prises par Thomas ici-même.
Le feu d’artifice débuta très fort avec les chiffres flamboyants de l’année en cours projetés dans le ciel. Suivirent alors figures de clown et autres petits cœurs rose déclenchant immédiatement un concert de "kawaii" (littéralement "mignon") de nippones extatiques. Le spectacle continua avec des lancers plus conventionnels dont la taille et l'altitude étaient directement proportionnelle à la clameur des hystériques sus citées. Le final fut composé de "ah", "oh", "eh" accompagnant chaleureusement chaque explosion.
Laissant ces joies futiles à la plèbe japonaise, je n'appréciai pas moins la beauté de cet incomparable hanabi: d’autant plus incomparable que je ne pus m’empêcher de le confronter à la déception de Sumidagawa. Tout particulièrement, je m’émerveillai devant la dynamique globale du feu d’artifice: bifurcations inopinées des traits de lumière, changements brusques du rythme des lancers, fluctuation harmonieuse de la forme des bouquets, mélodie fluide des couleurs. Bref, autant de considérations auxquelles nos nippons obtus étaient totalement hermétiques. Mais comment les blâmer ? Ce qui nous est familier n’est pas toujours ce qu’il y a de plus aisé à comprendre. Par exemple, bien qu’ayant baigné toute mon enfance, le Tour de France m’apparait encore aujourd’hui tout à fait abscons. A contrario, je suis persuadé que le Nippon est sensible aux bifurcations inopinées des trajectoires, aux changements brusques des braquets, à la fluctuation harmonieuse du peloton, à la mélodie fluide du gigaphone de la caravane…
Hmm… Apres réflexion, je pense que vous me pardonnerez aisément de préférer les plaisirs estivaux nippons.
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